11 novembre 2016. Comment ne pas se sentir immensément petit et éphémère en s’engouffrant dans le Siq, couloir taillé dans la roche il y a plus de 2000 ans, menant à la grandiose cité rose troglodyte de Petra ? Les hommes passent, la pierre reste, et avec elle, les secrets du passé.

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Aujourd’hui on ne peut plus qu’essayer d’imaginer ce que fut Petra, capitale des Nabatéens, peuple qui l’érigea et s’y sédentarisa après avoir été nomade pendant des siècles. Jadis, cette merveille architecturale creusée dans une roche rosée regorgeait de vie, de marchés, d’eau, de tissus colorés, de senteurs épicées, de chameaux, de verdure. Bâtie il y a plus de 2000 ans, sur un site lui-même habité depuis la Préhistoire, la cité mystérieuse s’était en effet imposée peu à peu comme une plaque tournante du commerce de myrrhe, d’encens, d’épices, et d’autres produits, de l’Egypte jusqu’à l’Inde. Comptant plus de 25 000 habitants à son apogée, la fin de son âge d’or commença lorsque les Romains, jalousant son influence en tant que centre économique et politique de la région, l’assiégèrent dans le Ier siècle avant JC ; deux terribles tremblements de terre, en 363 et en 747, contribuèrent à la chute de la cité. À la suite de ce dernier séisme, à la fin du VIIIe siècle, Petra fut désertée par ses derniers habitants.

Pendant des siècles, elle reposa en silence, entre les falaises ocres et escarpées, à l’abri d’un monde qui l’oubliait peu à peu… Sauf de quelques historiens et des bédouins, familles nomades du désert, qui s’étaient donné la mission d’en être les gardiens. Nul étranger n’avait le droit d’y passer ; en 1812, l’explorateur et historien Suisse Johann Burckhardt, arabophone et converti à l’Islam, dû se déguiser en pèlerin pour pouvoir pénétrer sur les lieux, accompagné d’un guide bédouin. Ce dernier découvrit la mascarade et, à peine Burckhardt eut-il mit un pied sur le site qu’il fut forcé à rebrousser chemin. Mais l’explorateur avait vu, l’œil brillant et l’âme vibrante, le Khazneh, le « Trésor » : la porte d’entrée de Petra, taillée dans le grès rouge. Il répandit la nouvelle en Europe, ce qui entraîna la mise en place d’expéditions, amorçant la réouverture progressive du site : quant à Burckhardt, il mourut sans jamais avoir pu y retourner.

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Le temps a fait son œuvre, et de la majestueuse Cité, il ne reste surtout que des ruines. Mais quelques portes sont incroyablement conservées : c’est le cas du Khazneh, que l’on découvre avec une stupeur émerveillée après avoir déambulé dans les méandres du Siq pendant plusieurs dizaines de minutes. Le Siq était autrefois le lit d’une rivière, qui fut détournée par les Nabatéens ; cet ouvrage leur permit à la fois de réhabiliter le lit en un couloir d’entrée, qu’ils pavèrent (la largeur maximale est de 5 mètres, et la hauteur des falaises de 200 mètres), mais aussi de disposer de réserves d’eau qu’ils pouvaient exploiter grâce à la mise en place d’un système d’irrigation ingénieux. Le Khazneh quant à lui est supposé être le tombeau d’un roi ou d’une reine. De l’autre côté de la cité, on trouve une autre porte merveilleusement conservée : El-Deir, un monastère érigé caché au milieu des hauteurs, desquelles on peut admirer un désert à perte de vue. D’autres édifices impressionnants subsistent, comme un théâtre aux allures romaines, ou encore la pierre des sacrifices, qui surplombe l’ensemble de la Cité.

Petra est une merveille naturelle et architecturale historique. Mais elle est aussi un marqueur du caractère éphémère de toute civilisation, y compris des plus grandioses.

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Les équilibres du monde se font et se défont ; et si se borner à penser notre époque comme un absolu est certainement une tendance humaine, se trouver confronté à l’œuvre du temps, au cœur des vestiges de Petra, a été pour nous une nouvelle occasion de se rappeler qu’absolument rien n’est immuable. Et de nous demander quel souvenir les civilisations futures auront de la nôtre, et ce que nous laisserons gravé, nous, dans la pierre du temps. En espérant de toutes nos forces que nous ne laissions pas comme seul héritage une terre épuisée par notre mode de vie surconsumériste, ou encore les ravages de guerres dévastatrices effaçant jusqu’au souvenir du passé, comme ce fut le cas, bien récemment encore et pas si loin de là, en Syrie, à Palmyre.

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