25 juillet 2016. Alors que s’achève notre périple dans le Xinjiang ouïghour, nous nous rendons dans le Gansu, où nous nous apprêtons à faire la rencontre d’un peuple que la Chine considère comme une autre de ses minorités : les Tibétains. Une expérience intense, profonde, qui pose de nombreuses questions, tant spirituelles, culturelles que politiques.

Dès le bus qui nous mène de Lanzhou la géante à l’humble Xiahe, dans la province du Gansu, nous percevons déjà une atmosphère toute particulière que nous n’avions pas rencontrée auparavant. De drôles de chapelets, en bois presque rouge; ornent l’espace du chauffeur ; certains passagers, aux pommettes hautes, bombées, et au teint très mat, arborent des tenues paraissant être confectionnées à partir de cuir de yak ; à côté de nous, un homme récite en boucle le « om mani padme hum« , d’une voix grave et vibrante. De la fenêtre, outre les paysages qui nous évoquent presque des steppes mongoles verdoyantes (bien qu’on note ici un relief un peu plus marqué), nous passons à côté de temples et de petits monuments en pierre, aux sommets des quelles des guirlandes de petits drapeaux colorés ont été reliées au sol. Chaque petit drapeau est une prière, transcrite dans une écriture à l’alphabet mystérieux : le tibétain (བོད་ཡིག).

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Le Gansu n’est pas frontalier avec la Région autonome du Tibet, pourtant, l’empreinte bouddhiste y est omniprésente. Ainsi, Xiahe, où nous nous rendons, abrite le plus grand monastère bouddhiste en dehors de la zone tibétaine : le monastère de Labrang. Un espace immense occupant une part importante de la petite ville, qui recense 70% de Tibétains pour 30% de Chinois Han et Hui. C’est une véritable ville dans la ville, où les « cellules » des 500 moines qui y résident (contre 4000 il y a 60 ans) jouxtent temples, salles d’étude ou d’audience. Si quelques espaces sont exclusivement réservés aux moines, les portes du monastère sont, à notre surprise, ouvertes à tous les visiteurs, 24h/24. Parmi les moines, tous les âges sont représentés ; nous croisons à ce titre un groupe de galopins d’une dizaine d’années, enroulés dans leur robe pourpre, et soigneusement occupés à mener une guerre de cailloux en riant. Chez les plus âgés, certains complètent leur tenue par des baskets Nike ou Adidas, et beaucoup sont rivés sur leur téléphone portable, loin de l’image d’ermite que l’on peut en avoir… Nous croisons de temps à autre des moines qui déambulent le long des murs extérieurs du monastère, sous des sortes de halles, en faisant tourner des rouleaux à prières sur des kilomètres.

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La ville paraît plutôt paisible. Un bouc solitaire, installé nonchalamment sur un trottoir, observe les passants qui ne sont en rien surpris de sa présence ; à la terrasse des boui-bouis, on partage des « Momo » (raviolis de yak) et on savoure du « Chomdi » (riz sucré aromatisé aux herbes tibétaines et au beurre de yak). Un élément attire cependant notre attention quant à l’apparente tranquillité du lieu : pourquoi cette base militaire à l’entrée de la ville ?

Nous découvrirons la réponse un peu plus tard, en discutant avec la gérante de notre auberge. Il est courant que des moines s’immolent à Labrang, bien que l’on n’en fasse pas état, et, à certains moments de l’année, la ville est fermée aux visiteurs tellement les tensions sont fortes. Le dernier grand trouble en date remonte à 2008, année des JO de Pékin, où de nombreuses émeutes avaient éclaté, coûtant la prison à de nombreux moines de Xiahe (et la vie, à d’autres endroits).

Pour les Chinois avec lesquels nous avons échangé, il n’y a pas de doute possible : le Tibet appartient à la Chine, et les Tibétains sont heureux d’être Chinois. Cette opinion est exprimée en toute bonne foi, ce qui pour nous est assez déstabilisant lorsque l’on a grandi dans la vision occidentale. Car pour le peuple chinois, la Chine a littéralement libéré le Tibet de l’envahisseur occidental en 1950 ; les troupes de l’Empire du Milieu avaient d’ailleurs pris le nom d’Armée Populaire de Libération. Peut-être la donne aurait-elle été différente si l’ONU avait accepté la candidature du Tibet, la même année. Et aujourd’hui encore, la Chine bienfaitrice agirait dans l’intérêt du Tibet : elle investit dans la région et développe des projets d’amélioration des infrastructures ; elle a également versé 600 millions de yuans en 4 ans pour la construction de musées et la protection du patrimoine culturel. Enfin, afin de développer la région économiquement, la Chine a même développé une voix de chemin de fer directe entre Pékin et Lhassa. Lhassa, qui a été récemment été classée dans le top 39 des « villes modèles » chinoises par l’état.

S’il est vrai que la Chine a apporté le bien-être matériel, et mis fin à certaines situations telles que le servage, qui existait encore au Tibet avant sa venue, qu’en est-il de la culture ? Au même titre que ce que nous évoquions concernant le Xinjiang, le Tibet n’est aujourd’hui plus que l’ombre de lui-même. Le bouddhisme continue d’être bridé, la part de Tibétains dans la population diminue d’année en année, au détriment des Han. La construction de musées par l’état traduit insidieusement que la culture tibétaine est une culture inanimée qui se résume à être observée derrière une vitrine…

Paradoxalement, nous nous sentons touchés par la situation tragique vécue par les Tibétains, aussi bien que par la vision chinoise, qui, même si nous n’avons pas le cœur de l’approuver, est exprimée en toute bonne foi par certains amis Han, y voyant l’expression d’une Chine réunifiée avec ses frères. Nous comprenons également l’importance symbolique que revêt le Tibet pour les Chinois, qui portent en eux de nombreuses valeurs bouddhistes.

Si un problème a une solution, ce n’est pas la peine de s’inquiéter. Mais s’il n’a pas de solution, s’inquiéter ne sert à rien. (Proverbe tibétain)

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