Il existe au Japon un terme sans équivalent français direct : « matahara », pour « maternity harassment », que nous pourrions traduire par « harcèlement maternel ». Un phénomène de grande ampleur sévissant dans le milieu professionnel nippon, mais qui aujourd’hui encore, demeure un sujet tabou.

Le pays du Soleil Levant a connu une croissance extraordinaire ces dernières décennies, qui lui a permis d’intégrer la tête de peloton des pays les plus développés au monde. Si le « Miracle économique japonais », amorcé après la Seconde guerre mondiale, prend fin au début des années 1990, le Japon reste aujourd’hui le troisième pays le plus puissant du monde, derrière la Chine et les Etats-Unis.

Mais cette belle croissance ne s’est pas faite toute seule. Derrière cette position dorée se cache une dure réalité : celle d’un marché du travail japonais dur, inflexible, perfectionniste. Car dans la culture nippone, le travail importe plus que la vie privée. Les heures supplémentaires (souvent non payées) font non seulement partie du quotidien des travailleurs, mais ces derniers les intègrent comme étant tout-à-fait normales ; rien de surprenant lorsque l’on sait que la valeur essentielle dans le monde du travail est la fidélité à son entreprise. Un sentiment qui, peut-être, est hérité du Bu-Shido. Le code moral des samouraïs n’exhorte-t-il pas les guerriers à faire preuve d’une loyauté sans faille – en toute circonstance, et, le cas échéant, au péril de leur vie – à leur Maître ?

Ainsi, bien que la notion d’équilibre soit inhérente à la philosophie japonaise, elle ne s’applique pas au partage vie privée/vie professionnelle ; « C’est ta famille, ou moi ! » semblent crier sans cesse les managers à leurs employés. Dans ce contexte, il devient très difficile d’envisager de fonder une famille, et ce, en particulier lorsque l’on est une femme. En effet, les représentations familiales traditionnelles – qui ont la vie dure – restent très attachées à maintenir les femmes à la maison pendant que les hommes travaillent. Mais en plus, tomber enceinte est un motif de rupture majeur pour l’employeur, qui semble y voir là une forme de « trahison ».

De nombreuses femmes choisissent de cacher leur grossesse jusqu’au dernier moment, en travaillant au-delà de leurs forces, ce qui les mène malheureusement bien souvent à la fausse couche. D’autres se voient contraintes par leur employeur de choisir entre la démission, ou… l’avortement. La pression exercée par les supérieurs cherche souvent à faire naître chez la future maman un sentiment de culpabilité, invoquant les soi-disant investissements colossaux mis en place par l’entreprise pour le recrutement ou la progression de l’employée.

Les femmes salariées qui oseront aller au bout de leur grossesse seront, la plupart du temps, forcées à démissionner avant d’avoir droit à un congé de maternité ; la majorité ne pourra retrouver de nouveau travail suite à sa grossesse.

Ce phénomène, très grave, a des répercussions malheureuses à plusieurs niveaux :

  • Émancipation des femmes : les femmes deviennent financièrement dépendantes de leur conjoint et ne sont pas libres de leur destin, demeurant parfois prisonnières de situations conjugales difficiles.
  • Santé mentale des femmes… mais également des hommes : le harcèlement maternel est évidemment psychologiquement très dur à vivre pour les femmes, mais également pour les pères de famille. Seuls à assumer les besoins de leurs familles, ils subissent de très fortes pressions et travaillent à des rythmes très soutenus. Les cas de burn-out et de dépressions sont fréquents.
  • Vieillissement de la population : du fait de la pression subie par les futures mamans, le taux de natalité est en baisse, alors que l’espérance de vie, elle, augmente. Une situation qui préoccupe citoyens japonais, risquant de travailler de plus en plus tard, mais également l’Etat qui doit trouver des solutions pour la prise en charge des plus âgés.

Matahara Net est une association née en 2014 pour venir en aide aux victimes et sensibiliser le gouvernement et les entreprises au phénomène du harcèlement maternel. 

Interview de Junya Murakami, coordinateur et interprète au sein de Matahara Net :