29 mai 2016. Cusco, ou plus littéralement « le nombril » (« Qosqo » en quechua), nous accueille à bras ouverts (pour ainsi dire), au matin gris du lundi 23 mai. Nous voilà donc où tout a commencé – ou fini, selon le point de vue. Cusco : l’ancienne capitale de l’Empire Inca.

Après quelques huit heures de bus de nuit sur des routes sinueuses, nous entamons les deux kilomètres qui séparent le terminal du centre-ville de Cusco. Nous avons la chance de découvrir la place centrale au petit matin, vierge des hordes de touristes qui devraient l’envahir plus tard (et dont nous faisons partie, soit dit en passant). La traditionnelle Plaza de Armas, verdoyante, laisse apparaître en son centre une fontaine représentant un Inca doré en train d’attaquer, symbole de la résistance contre le colon espagnol dans les années 1530 d’abord, puis deux siècles plus tard, lors de nouvelles luttes indépendantistes qui marqueront la fin du peuple Inca. L’église de la Compagnie de Jésus, ainsi que la cathédrale de Cusco, toutes deux bâties à l’emplacement d’anciens temples incas, se dressent de part et d’autre de la place. Tout dans l’architecture de la ville nous évoque ce métissage entre la culture inca et la culture espagnole : beaucoup de bâtiments disposent de fondations de l’époque inca, très caractéristiques, alors que la partie supérieure répond au style colonial ; au cœur de la Cathédrale, dans le tableau représentant la Cène, Jésus et ses disciples partagent un cochon d’Inde, mets très affectionné par les Incas ; enfin,  les noms de rues sont pour certains en langue hispanique, mais la plupart restent en quechua, langue officielle de l’empire. Ainsi, les murs, témoins de l’Histoire de la ville, semblent en avoir conservé la mémoire, et l’atmosphère créée par ce syncrétisme est unique, énigmatique.

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Cusco est une ville-mystère, dont on sait peu de choses, bien que la nature humaine se satisfasse de beaucoup de réponses tant qu’elles offrent une explication qui correspond à ses attentes. Les Incas ne disposaient pas d’écriture, hormis peut-être les fameux kipu, que personne ne sait déchiffrer mais qui paraissent recenser des informations essentiellement comptables ; quoiqu’il en soit, n’ayant pas immortalisé leur savoir à travers des manuscrits, ils l’ont emporté avec eux et ne nous ont laissé que des doutes, notamment sur leurs techniques architecturales surprenantes. Quelques exemples : les blocs de granit utilisés atteignent, pour certains, les 500 tonnes (on en trouve notamment sur le site de Sacsayhuaman, dans les hauteurs de Cusco) ; très lisses et réguliers, ils ont été taillés avec une précision incroyable ; chaque bloc de granit est de taille et de forme différente (certains blocs ont plus de 10 angles), mais tous s’assemblent à la perfection ; le résultat donne un puzzle géant de centaines de tonnes, et ce, en n’utilisant aucun mortier, aucun ciment pour faire tenir les pierres les unes avec les autres. Précisons enfin que ces murs sont entièrement antisismiques et semblent résister à toutes les intempéries. En un mot, une oeuvre architecturale tellement impressionnante qu’à leur arrivée dans le Nouveau Monde, les Espagnols n’attribuaient pas ces prouesses à des êtres humains. Le débat est ouvert…

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Et qu’auraient dit les colons s’ils avaient découvert cette autre merveille au cœur de la vallée sacrée : la citadelle du Machu Picchu (littéralement : le Vieux Pic) ? Perchée à près de 2500 mètres d’altitude, cachée dans la végétation foisonnante d’un climat tropical, sur un terrain principalement accidenté, la cité a sommeillé en secret de nombreuses années jusqu’à ce qu’elle fut dévoilée au monde au début du XXe siècle, par un explorateur américain du nom de Hiram Bingham. Là encore, les théories divergent, attribuant au lieu des fonctions différentes : cérémonielles, agricoles, commerciales, scientifiques (observation des étoiles), résidentielles, etc. Une incertitude sur l’origine du site, donc, mais qui n’a pas empêché aujourd’hui l’imposition du terme de « sanctuaire du Machu Pichu »… Quoiqu’il en soit, là où tout le monde s’accorde, c’est sur le caractère exceptionnel du site et du cadre naturel merveilleux dans lequel il a été érigé.

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Une chose est sûre : arpenter les rues pavées de Cusco sous un soleil d’or au son de la fête du Corpus Christi, ou encore gravir à l’aube les pentes humides et raides conduisant au Machu Picchu, nous a fait ressentir une étonnante énergie. Comme si ces lieux exerçaient, en dépit de ce que l’on sait sur eux, un mystérieux pouvoir d’attraction et d’envoûtement sur qui vient les visiter.