26 avril 2016. Encore tout guillerets de notre escapade dans les impressionnantes ruines de Tiwanacu, nous ne nous doutons pas un instant des péripéties à venir lorsque nous embarquons dans le colectivo (sorte de mini-van) qui doit nous mener à Copacabana.
Les chauffeurs sud-américains sont un concept à part entière. Leur moyen de locomotion est l’expression de leur personnalité et de leurs croyances : qu’il s’agisse d’un bus, d’un poids-lourd, d’un taxi, ou d’une voiture de police, les transports sont systématiquement décorés. Des néons colorés sur la carrosserie aux dentelles jonchant les pare-brises, en passant par les autocollants « playboy » côtoyant les crucifix et portraits de Saints, les ornements des véhicules sont sacrés, et l’on a l’impression que les chauffeurs sont fiers de nous inviter dans leur chez-eux.
Aussi, lorsque nous pénétrons dans ce colectivo mignonnet, cosy, avec une petite moquette rouge assortie au polo d’un chauffeur très propre sur lui et tout sourire, nous sommes convaincus de nous trouver dans la Rolls Royce des mini-vans. Au fur et à mesure que nous nous éloignons de la Paz, la ville et sa périphérie agitée laissent place à la tranquillité de la nature, et les étoiles constellent peu à peu le ciel encore teinté des nuances du couchant. Nous sombrons peu à peu dans le sommeil, bercés par les rires des enfants qui partagent le mini-van avec nous. Au détour d’un virage, nous tombons émerveillés devant notre première vision des abords de l’immense Lac Titicaca, qui reflète une lune pleine et immense ; nous pénétrons alors dans un village qui borde le lac, quand soudain, notre chauffeur s’arrête. Devant nous, un bus, et devant lui, le lac. Pas d’autre issue. Que faisons-nous là, et pourquoi nous arrêtons-nous ? En plissant les yeux dans l’obscurité, nous apercevons deux sortes de plateformes flottantes en bois s’approcher de la rive et accoster, et à notre grande surprise, le bus devant nous démarre et s’en approche, puis, c’est à notre tour. Nous comprenons alors que nous allons traverser une partie du lac Titicaca, à bord de notre colectivo, flottant sur cet espèce de bac de fortune, en compagnie d’un immense bus touristique !
Une fois retournés sur la terre ferme, au bout d’un quart d’heure de cette traversée aussi cocasse qu’inattendue, notre chauffeur reprend les rênes. Est-ce l’air du grand large, ou bien l’influence de la pleine lune, nous ne saurons jamais : toujours est-il que notre voiturier modèle s’est soudain transformé en pilote de formule 1. Le chauffeur-garou met les gazs, s’appliquant à doubler en plein virage et à piquer des accélérations sur la voie de gauche de nuit, sans éclairage, en pleine montagne, et cela, en écoutant en boucle cette chanson qui devait nous hanter « Quiero vivir, quiero vivir » (littéralement : « Je veux vivre, je veux vivre »). Et pour cause, NOUS VOULONS VIVRE, ce que nous lui faisons comprendre en lui priant de respecter les limitations. Une intervention efficace puisque nous arrivons vivants à Copacabana, bien que nous ayons vexé comme un pou notre chauffeur garou qui rappuiera allègrement sur le champignon dès qu’il nous aura déposé.
Même de nuit, nous sentons qu’il règne à Copacabana une ambiance de ville balnéaire, qui tranche avec tout ce que nous avons connu de la Bolivie jusqu’à maintenant. Et le lendemain matin, c’est avec une joie indescriptible que nous découvrons un lac immense et bleu, avec quelques remous et une vague odeur de sel (car le lac est bel et bien composé de 2% de sel) qui nous rappelle évidemment notre Méditerranée et notre côte bretonne. On trouve même un petit port de plaisance et des marins d’eau semi-douce, avec leurs traits bronzés et burinés et leur petit béret.
Après être montés au sommet du mirador surplombant la ville, nous embarquons sur une des petites navettes blanches (personnalisées au même titre que leurs homologues à roues), en direction de la fameuse Isla del Sol, au centre du Lac. Il faut savoir que le Lac Titicaca, qui sépare la Bolivie et le Pérou, est le plus grand lac d’Amérique du Sud, et qu’il se trouve à près de 4000 mètres d’altitude. Il est considéré comme le plus haut lac d’altitude du monde, et l’on sent que les Boliviens y attachent une importance toute particulière.
Au bout de deux heures d’une traversée unique, sous un soleil merveilleux, entourés de montagnes enneigées et de collines verdoyantes, nous arrivons sur la partie Nord de la Isla del Sol. Immédiatement, nous nous sentons dans un coin de paradis. La partie nord de cet île d’une dizaine de kilomètres de long est préservée, naturelle, calme, et la présence de quelques touristes n’est pas choquante, puisque locaux comme étrangers paraissent vivre au même rythme : celui du soleil. Nous nous perchons au sommet d’une colline pour admirer le coucher de celui-ci, après avoir croisé plusieurs paysans qui rentraient leurs bêtes. Peut-être un des plus beaux coucher de soleil depuis notre arrivée en Amérique Latine !
Le lendemain, nous entamons une randonnée d’une dizaine de kilomètres pour rejoindre la partie Sud de l’île. En trois heures, cheminant au cœur de paysages fantastiques, nous ne croisons que quelques pèlerins, et un joueur de trompette ambulant, ce qui accentue notre sensation de bout du monde.
Arrivés au bout de notre chemin, dans une partie Sud bien plus touristique mais toute aussi belle que le Nord, nous observons l’horizon. Au loin, on peut distinguer la Bolivie et le Pérou : nous ne pouvons alors nous empêcher de visualiser notre périple bolivien passé et nos aventures péruviennes à venir, ainsi que toutes les aventures prochaines. Nous mesurons notre chance de pouvoir arpenter ces routes, de rencontrer des personnes aussi exceptionnelles qu’inspirantes, et de pouvoir défricher ce Monde, pour en apprendre davantage sur l’Humanité et sur nous-mêmes.
7 juin 2016 at 9:02
« quiero vivir!! » Que les Dieux nous accordent d’être centenaires et en forme Michel et moi pour arpenter nous aussi des régions aussi insolites ,spectaculaires et peuplées d’êtres fantasques comme votre chauffeur!! merci pour ce récit vivant et plein d’humour!
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