13 novembre 2016. Seule une brise, chaude et légère comme un voile, vient, doucement, danser sur le silence. Un silence qui s’étend à perte de vue, et peu à peu submerge notre être, purifie notre esprit, apaise nos pensées, repousse les limites de nos horizons intérieurs. Quiconque l’a déjà vécu reconnaîtra dans ces mots le pouvoir du désert.
Sur le toit de la Jeep, nous traversons, bercés par le remous d’un sol de sable vallonné, le désert orangé de Wadi Rum. S’étendant sur pas moins de 74000 hectares, frontalier de l’Arabie Saoudite, il offre un paysage sublime et onirique, fait de dunes, de monticules de roches, de canyons, de caves, de puits. Dans ces mêmes lieux où ont été tourné les films « Seul sur Mars » et « Lawrence d’Arabie », nous croisons à quelques reprises des chameaux isolés, dénués de selle et de tout accessoire. Ils appartiennent certainement à un bédouin des environs, qui les retrouvera en temps voulu.
En marchant à la fraîcheur de l’ombre des falaises rouges pour éviter le soleil de plomb, on trouve quelques cavités abritant parfois un peu d’eau et de timides traces de verdures (pousses de sauge, fleurs jaunes, bulbes, et même des petites pastèques sauvages). Nous apprenons que deux semaines auparavant, et pour la première fois depuis avril, il a plu dans le désert ; cette première pluie marque la fin de la période la plus aride et l’entrée dans une saison (relativement) plus douce. Allongés sur le sol, nous passons de longues minutes à observer le labeur d’une colonie de fourmis, en train de construire leur propre Petra grandeur insecte, sans doute.
Dans nos représentations, le désert est un grand vide. Mais c’est en fait un tout, une immensité riche et diverse, où chaque détail, chaque manifestation de vie, même la plus petite, prend des dimensions importantes et belles. Le matériel laisse place à la magie, à l’empathie, à l’émerveillement.
Ce décor, nos deux guides bédouins, Ramzeh et Abdallah, âgés de la vingtaine, le connaissent par cœur. C’est ici qu’ils ont grandi, entourés de leurs nombreux frères et sœurs, aidant leurs parents avec leurs bêtes, se contentant de choses et de joies simples. Aujourd’hui il ne reste plus que 17 familles de bédouins dans ce désert, contre environ 70 il y a une vingtaine d’années. Un mode de vie sur sa fin, ce qui se comprend : Abdallah et Ramzeh nous confient leur immense attachement à leur vie de bédouins, mais admettent que le confort d’un lit dans une maison en dur, avec l’électricité et l’eau courante , leur fait également du bien. Leurs parents continuent toutefois de perpétuer les traditions, conservant ce mode de vie ancestral.
Après un coucher de soleil satiné, la nuit se déploie très vite et très tôt (aux alentours de 6 heures) sur Wadi Rum. L’obscurité installée, le feu de camp allumé près de notre bivouac illumine les parois rouges des falaises contre lesquelles nous sommes appuyés, créant une ambiance intimiste et chaleureuse. Nous partageons du thé bédouin, au goût si caractéristique de sauge sucrée, chauffé à même le feu de camp. Un ami de nos guides nous rejoint et prépare quant à lui le café ; il nous explique qu’il faut en boire trois tasses : une pour l’esprit, une pour les invités, et la dernière pour la paix. En guise de sucre, il est d’usage de déguster une datte entre deux tasses. S’ensuit ensuite une longue soirée au coin du feu, où nous échangeons avec Abdallah des énigmes et des devinettes, ce dernier étant un véritable maître en la matière, avant de jouer ensemble à la belote.
Si cette première nuit fut un moment merveilleux, celle du lendemain se révélera tout simplement magique. Nous retrouvons un autre guide, plus jeune, qui s’avérera être un véritable bout en train et un talentueux joueur de oud, la guitare locale. Entre deux expressions françaises complètement décalées, il entonnera accompagné de son instrument une reprise très originale de « Frères Jacques », en version bédouin. Illuminés par une pleine lune telle qu’elle nous permet presque d’y voir comme en plein jour, nous entamons une véritable chasse au trésor de nuit dans le désert, où les précieux qu’il nous incombe de retrouver ne sont autre que des petits gâteaux sous plastiques, localisables à partir d’une borne GPS… Ce qui est apparemment un jeu très courant chez les bédouins d’aujourd’hui, auquel on se plaît énormément à participer ! Nous passons ensuite la nuit sous les constellations, et ce fut comme si nous plongions et nagions dans l’espace… Une véritable fuite du réel. Un compagnon terrestre viendra nous sortir de ce mirage de temps à autre durant la nuit : un petit renard, pareil à celui de Saint Exupéry, s’approchant à quelques mètres seulement de notre campement de fortune.
Notre notion du temps fut totalement chamboulée par ce cadre si insolite pour nous, et les deux jours et deux nuits que nous y avons passés nous paraissent bien plus longs. L’expérience que nous y avons vécu fut profonde et intense, mêlant partage, introspection, et communion avec notre environnement.
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