18 décembre 1878. C’est en ce jour que naît, dans la petite maison familiale de Gori, en Géorgie, Joseph Vissarionovitch Djougachvili ; ce jeune homme exalté qui se destine à devenir moine, et que l’histoire retiendra sous un tout autre nom : Staline.

15 octobre 2016. Près de cent trente huit ans plus tard, en arrivant sur la place centrale de Gori, face à cette même maison où Staline passa son enfance et aujourd’hui conservée intacte comme un monument du passé, nous sommes saisis d’étonnement.

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Aujourd’hui encore, la mise en scène théâtralisée de cette bâtisse, somme toute modeste, au cœur même de la ville, participe d’une glorification officielle et assumée du personnage. Staline est bien l’enfant de Gori, et Gori reste sa ville.

Et pour qui en douterait, c’est bien par l’avenue Staline qu’on débouche sur cette grande esplanade. D’autant que dans cette imposante « Perspective Staline », l’axe avenue-maison se prolonge par une statue en pied de l’homme d’acier qui trône fièrement face à l’immense Musée Staline, une vingtaine de mètres plus loin, dédié à la vie et à l’oeuvre de « l’Oncle Jo ».

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Le tournage d’un film mettant en scène des nostalgiques de l’époque stalinienne en rajoute au caractère étrange et presque dérangeant de cette atmosphère. Nous avons l’impression de nous trouver dans un rêve loufoque où tout devient possible. S’agit-il d’une fiction ? Ou bien d’une manifestation officielle du Parti stalinien de Gori – oui, Parti stalinien – qui vient de participer aux élections législatives ? Nous n’en saurons pas plus.

Une chose est sûre : la manière dont Staline est célébré aujourd’hui encore à Gori témoigne, pour la Géorgie, d’un passé qui ne passe pas. Le grand Musée consacré à Staline est assez éloquent par son silence. On y est frappé par l’absence de tout commentaire face aux représentations et aux objets retraçant l’existence du tsar rouge qui avait professé que « la mort résout tous les problèmes. Pas d’homme, pas de problème. »

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On est encore davantage saisi par les échoppes de souvenirs à l’effigie du dictateur. Bustes, assiettes, T-shirts, casquettes : de ces objets, analogues à ceux que nous avions vus en Chine avec Mao…

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Nous sommes frappés par cette aura paradoxale de Staline. Malgré la dénonciation de ses crimes dès les années 60 en Union soviétique, cet enfant du pays devenu maître du monde au prix de la mort impitoyable, reste auréolé d’une gloire singulière ici, dans son village natal, en 2016.

Nous marchons, pensifs, dans le crépuscule, à l’ouest de la place centrale, au bord de la ville qui s’endort. La vieille forteresse morte de Gori se dresse, toujours, sur sa colline d’antan. Elle ne protégea pas Gori de l’occupation russe, en 2008 pendant la guerre.

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Et l’entrée dans la ville de troupes étrangères dut rappeler aux plus anciens un autre jour noir de l’histoire géorgienne. C’était en 1921. La Géorgie jouissait, depuis trois ans, d’une indépendance inespérée… Mais certains Bolcheviks, voyant d’un mauvais œil l’émergence de cette jeune social-démocratie libre et parlementaire, en avaient décidé autrement. L’avenir qu’ils rêvaient, pour la Géorgie, était soviétique.

À leur tête : un certain Joseph Staline. Ainsi, l’enfant de Gori fut l’un des artisans de l’invasion de son propre pays, qui mit sept décennies à recouvrer sa liberté.

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